Le livre de Nella: La vie d'exil des Masutti



Un coup de feu. Un seul coup de revolver a décidé du destin d'une famille italienne. En 1921, traqué par une milice fasciste, Costante Masutti, maçon communiste italien, dégaine son arme et tue un activiste. Recherché, il choisit de fuir en France avec sa famille. Premier pas dans ces vies d'exilés, dont la petite-fille, Bérénice Manac'h, retrace l'histoire dans un livre. Elle a choisi, pour écrire le destin des Masutti, de fixer la focale sur Nella, sa mère. Nourrie par une riche iconographie et un trésor d'agendas, de journaux intimes et de correspondance, ce récit retrace l'itinéraire des Masutti, de Pordenone à Moscou, d'Akhangelsk à Istanbul et Locquirec. Les beaux portraits de Nella laissent deviner les splendeurs et misères d'une vie passionnée.
Nella se détache de cette histoire en uniforme de pionnière, passionnée par les tanks russes. Jusqu'à l'apparition du bel Emilio, ancien groom de palace qui, comme les Masutti, a répondu à "l'appel de Moscou". Mais Emilio est emporté par une purge visant la colonie italienne d'URSS. Après l'avoir suivi pour l'épouser (elle a 17 ans) Nella quitte la vie du camp sibérien pour Turin. Elle y retrouve un ami d'Emilio: Étienne Manac'h. Proche de Thorez, celui-ci tentera d'obtenir la grâce pour Emilio, et se laisse fasciner par la "douceur de ce petit visage enfantin déjà mûri par les difficultés de la vie, les fuites, les exils, la faim, le scorbut, les arrachements". Ils dépeint la séduction "prolétarienne" de ce visage, qu'il décrit mille fois dans son journal: "Un corps électrique: comment fait-elle pour résister à ce corps? Nella est comme une reine, leste et dégagée, naturelle et insouciante." Bérénice Manac'h décrit le bonheur du jeune couple, les vacances en vélo à Cassis, le départ pour la Turquie de Nella dans l'ombre du futur ambassadeur. Cette vie mondaine l'assombrit, on ne reconnaît plus la Nella d'autrefois. Déchirée, elle garde encore au coeur le souvenir de son Emilio mort à la Kolyma, dont elle fait publier chez Maspero la correspondance sous le titre Exil mort et déportation d'un ouvrier communiste italien en URSS. 1957 la trouve au bord de la rupture: quitter son mari? Sa mère Teresa a bien quitté le sien, à 65 ans, après 45 ans de vie commune. Teresa et Costante seront pourtant inhumés ensemble sous une dalle mentionnant: "antifascistes italiens". La terreur fasciste les avait poussés à l'exil, la terreur stalinienne transformera l'histoire d'amour de Nella en tragédie.
Daniel Morvan

Bérénice Manac'h: Le livre de Nella. Skol Vreizh 2019. 308 pages, 22€

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