Oignons roses et yeux de perle: Lecture heureuse des poètes bretons

Les Johnnies de Roscoff furent de singuliers navigateurs. Depuis 1827 jusqu'au milieu du XXe siècle, ils embarquaient en juillet après le pardon de Sainte Barbe. Une fois arrivés à Cardiff, les vendeurs souvent jeunes faisaient du porte à porte, les chapelets d'oignons roses à l'épaule, sur un balancier. Ils revenaient parlant anglais, des étoiles dans les yeux. Ils étaient nos étonnants voyageurs à nous, petits-enfants de Johnnies. Peu d'ouvrages ont été consacré à ces colporteurs de petite et de grande Bretagne. Bonheur de trouver sous la plume de Paol Keineg, le poète de Quimerc'h (29), naguère héraut des Bonnets rouges (ceux de Louis XIV!), ce portrait poétique du "Johnniged" breton qui "pédale dur aux limites de la terre/ en un pays où les jeux ne sont pas faits/ où la beauté des corps n'est pas abolie". On le savait que les Johnnies étaient des hommes aux semelles de vent, l'ami Keineg, qui les admire depuis l'enfance, leur offre une guirlande poétique et drôle.  
 
La poésie, la peinture et les jardins: ce sont les lieux de Denise le Dantec. Marquée, enfant, par l'incendie de la ferme de ses parents à Trémel (22) en 1942, fille de résistants, elle est vite entrée dans la marche du monde, a participé à l'aventure journalistique de La Cause du Peuple, écrit des textes pour Colette Magny. Et des poèmes qui, comme chez Keineg, étaient des "saluts aux travailleurs". Le très beau recueil qui vient de paraître propose une poésie du jaillissement de l'image, étrange ou lumineuse, toujours généreuse: "Je suis entrée dans la matinée comme dans un jour d'été./ Des poussières de sons. Des cosses de mots. Une pluie de pollen. / Comme si le soleil tenait tous ensemble les vivants dans la lumière." Et perçant l'obscurité, la prodigieuse musicalité de l'instant qu'on attrape au vol: "Quittant le buisson de berbéris, une taupe a montré ses yeux de perle - ses miettes de conscience./ Le jour s'est approché, sans efforts presque."

daniel morvan

PaolKeineg: Johnny Onion descend de son vélo. Les Hauts-Fonds (Brest), 85 p., 18€.

Denise Le Dantec: La seconde augmentée. Éditions Tarabuste, 130 p., 15€.




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